Publié le 30/06/2015
Gérard Bobier, Président de la Chambre de Métiers et de l'Artisanat

«L’artisanat n’est pas considéré à sa juste place»

A l’occasion de leurs Journées territoriales, les élus de la Chambre de Métiers et de l’Artisanat d’Indre-et-Loire se sont rendus à deux reprises en Sud Touraine au cours du mois de juin pour rencontrer une vingtaine d’entrepreneurs du secteur de l’artisanat. Ces déplacements, le premier le 10 juin dans le Val d’Indrois et le deuxième, le 30 juin dans le Lochois étaient organisés en partenariat avec les Communautés de communes.

Sud Touraine Active a profité de ces rendez-vous pour interroger Gérard Bobier, un Président de Chambre de Métiers très impliqué au sein de différentes instances françaises et internationales pour défendre les particularités de l’entreprise artisanale. Interview.

Quel est l’état de santé des entreprises que vous rencontrez en Sud Touraine ?

Gérard Bobier : On voit de tout : des entreprises qui ont de réelles difficultés à cause d’une conjoncture très dégradée mais aussi des entreprises qui ont su orienter différemment leur production, leur communication, leur recherche de marché. L’artisanat souffre, ce n’est pas un scoop, mais des secteurs résistent mieux que d’autres, je pense au secteur de l’alimentaire. Le BTP est en très grande difficulté, les services aussi mais ce n’est pas le cas de tous, on a vu le cas du garage les carrés à Genillé qui a su développer de nouveaux services et communiquer, or aujourd’hui, c’est très important : en plus d’être un excellent professionnel, l'artisan doit être un très bon communicant et un très bon commercial.

Comment évolue la création d’entreprises artisanales ?

G.B : La création d’entreprises continue toujours. Je modère mes propos : la création d’entreprises dites classiques diminue, la création d’entreprises classées microentreprises (ex autoentrepreneur) continue d’augmenter. Une entreprise sur deux qui se créé aujourd’hui est une microentreprise. Il y a une explication, quand vous avez des licenciements dans une entreprise, les salariés sont tentés de créer leur emploi. En revanche, ils ne créent pas d’emplois, ne forment pas d’apprentis...

Et la transmission ? La recherche de repreneurs potentiels est-elle compliquée en Sud Touraine ?

G.B : Les entreprises à céder qui connaissent des suites favorables sont très  nombreuses. En revanche, il faut que les entrepreneurs aient bien conscience que pour trouver facilement un repreneur, ils devront poursuivre leurs investissements et maintenir leur outil de production en bon état jusqu’à leur retraite. Prenez l’exemple du boulanger-pâtissier de Montrésor que nous avons rencontré, il part à la retraite dans une petite dizaine d’années mais il va changer son four dans un ou deux ans. Il faut tout faire pour faciliter la transmission de son entreprise le moment venu.

Vous êtes membre du bureau de l’APCMA, l’assemblée permanente des Chambres de Métiers et, à ce titre, membre du conseil d’administration de l’AFNOR, l’association française de normalisation. Comment défendez-vous les intérêts de l’artisanat ?

G.B : Je représente effectivement l’APCMA au conseil d’administration de l’AFNOR. Je me bats, dans plusieurs cabinets ministériels et au sein de ces instances, pour que les normes élaborées puissent être applicables dans les entreprises artisanales. À chaque fois qu’une entreprise veut créer une norme pour protéger son activité et créer des difficultés pour ses concurrents, elle protège son marché. Un groupe de travail est dès lors constitué.

"Des experts de l’artisanat sont présents dans ces groupes de travail, dans la phase de constitution ou de révision de ces normes. Et c’est fondamental : bon nombre d’entreprises artisanales sont sous-traitantes de grands groupes, sur des produits de technologie. Sauf que pour accéder à ces marchés, elles sont obligées d’être certifiées et normées. Nous nous battons pour que la norme reste accessible à l’artisan".


Je participe aux réunions mondiales de révision de la norme ISO 9001 qui est la seule norme mondiale. Depuis 4 ans, je fais du lobby auprès des autres experts pour faire accepter un paragraphe de 10 lignes qui prennent en compte les spécificités de l’artisanat. Un exemple concret avec la « revue de management » : avec la norme iso 9001, on vous dit qu’il faut faire une revue de management tous les matins avec écriture, traçabilité… une entreprise artisanale de 3 ou 5 personnes qui est sur des marchés internationaux n’a pas les moyens. Sans dénaturer la norme, il faut aussi savoir adapter certaines mesures à la taille de l’entreprise.

Et puis, il faut savoir que participer à ces groupes de travail n’est pas gratuit, quand vous savez que l’élaboration de la norme va durer 5 ans et que tous les ans, il faut remettre de l’argent au pot…. Le budget de l’APCMA n’est pas extensible et celui des petits syndicats de l’artisanat encore moins ! Prenez le cas du syndicat national des esthéticiennes qui apprend qu’un groupe de travail a été créé pour créer une norme sur les produits utilisés par les esthéticiennes. Une norme créée par les fabricants pour se protéger des concurrents mais qui rendait l’application des produits très contraignantes. Pour défendre les intérêts des esthéticiennes, leur syndicat, la CNAIB, a participé sur plusieurs années au groupe de travail sur plusieurs années, ça lui a coûté 50 000 euros. Demain, une nouvelle norme ressort et ils n’ont plus les moyens de se faire entendre.

STA/30 juin 2015