Publié le 13/12/2016

Le maçon mordu des agro-matériaux

Maçon respectueux du bâti ancien et spécialisé dans l’éco-restauration, Eric Julien donne de son temps et de son énergie pour faire avancer la recherche et le développement autour des agro-matériaux et de leur utilisation. Rencontre avec un artisan passionné et rigoureux, intransigeant sur certaines valeurs.

Il y a 20 ans, cet ingénieur en textile d'origine cévenol atterri en Touraine pour mettre en route un atelier de teinture textile à Saint-Avertin. Congédié dans la foulée, il décide de se reconvertir dans la maçonnerie pour assouvir « cette passion inavouée à mes parents, qui voulaient que je sois ingénieur ». Maçon, oui, mais à sa façon.
« J’ai tout de suite abordé ce métier par le côté écologique, par conviction profonde. Les pratiques employées à l’époque, pour rénover, ne me plaisaient guère et, à mes yeux, ne respectaient pas du tout les bâtiments », explique Eric Julien, qui s’est formé, dès 2003, à l’éco-construction. Il va rapidement se tourner vers l’éco-rénovation, ou plutôt l’éco-restauration, selon ses termes. « La rénovation, pour moi, c’est faire du neuf dans du vieux. Alors que la restauration implique d’utiliser les techniques d’antan, de respecter l’âge et la nature du bâtiment. »

De la technique… et de la philosophie

Dès lors, il trouve rapidement son public, sa clientèle, qui se constitue alors de personnes sensibilisées aux questions environnementales et / ou de familles très attachées à leur habitat ancien. « Des personnes qui pensent à la santé de leur patrimoine, à ce qu’ils souhaitent transmettre, mais aussi à leur santé personnelle, en souhaitant habiter dans des lieux sains. » Eric Julien propose de la restauration complète (sols, murs, plafonds…), avec des agro-matériaux (chanvre fermier, tiges de tournesol, rafles de maïs, pailles de blé et de seigle…) trouvés la plupart du temps dans le Sud Touraine ou sur des territoires proches. Toujours avec le souci de faire avancer la recherche, d’où son engagement dans le cadre du projet BIOCOMP auprès de Yoann Brouard et de sa thèse autour des biomatériaux. 
« La réglementation évolue beaucoup et c’est bien, cela nous oblige en permanence à remettre en cause sur les matériaux, les techniques, chercher, tester, trouver… Cette thèse m’a permis de qualifier et de quantifier mon travail, de manière empirique. Notre premier essai, un mur en argile et en tournesol, a nécessité une dizaine de mélanges avant de trouver la bonne recette. »

"La thèse de Yoann Brouard m’a permis de qualifier et de quantifier mon travail, de manière empirique"

 « Je fais le lien entre ces maisons anciennes et leurs propriétaires »

Depuis quelques années, Eric Julien s’est penché sur la problématique du tuffeau, très répandu en Touraine et dans ses environs. « Je reste un maçon de pierre dure mais l’isolation et la santé du tuffeau sont des problématiques qui me passionnent. Si on y répond mal, on dégrade son patrimoine. Cela nécessite une technique particulière. » De la technique, donc, mais Eric Julien a également une approche philosophique de son métier et tente de la partager avec ceux qui font appel à ses services et à son savoir-faire. « Mes chantiers de restauration durent en moyenne 18 mois. Il faut environ 9 mois de gestation du projet, de discussions pour affiner. J’ai besoin de connaître les personnes, les interroger sur le lien qu’elles ont avec cet habitat, sur ce qu’elles ont envie, afin de leur proposer la réponse écologique la plus adaptée. Je fais le lien entre ces maisons anciennes et leurs propriétaires. Généralement, les gens acceptent cette démarche et finissent même par me remercier d’avoir pris tout ce temps... »

"Le coût des chantiers longs, un faux problème"

Eric Julien ne saute pas de chantier en chantier et balaye d’un revers de main la question du coût d’un chantier long. « C’est un faux problème selon moi : vous payerez plus cher tôt ou tard, si ce n’est pas fait dans les règles de l’art, ou vous ne transmettrez rien, si ce n’est pas fait du tout… » Dans l’un de ses principaux chantiers du moment, dans la vallée du Cher, le maçon s’est occupé de la restauration quasi-complète d’une bâtisse ancienne. Un nouveau terrain de jeu et d’exploration :  chaux, roseaux et argile pour l’isolation de la toiture, schiste expansé et chaux pour la dalle du sol, coquilles de noix et chaux pour les colombages, enduits à la terre…
En 2017, il va acquérir une machine à projeter les enduits isolants. « La technique manuelle nécessite de bien lier les strates entre elles pour éviter des projections d’air. Là, j’utiliserai moins d’eau et j’améliorerai la qualité du rendu. ». Eric Julien évoque souvent « l’être et le paraître », avec un lien à son métier : « Je mets de la matière partout, ça a un sens, non ? ».